« LES DEMOISELLES D’AVIGNON », DE SCHLIEMANN A PICASSO.

ORIENTALISME ET CULTURE MATERIELLE, PETIT ESSAI D’ARCHEOLOGIE LITTERAIRE

Conférence donnée par Sophie Basch, professeure de littérature française à la Sorbonne, membre de l’Académie Royale de langue et de littérature française de Belgique et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France

Jeudi 5 mars à 18.30 à Uni Bastions, Salle B 111
Entrée libre

 


Sébah et Joaillier, marchands de poteries à Constantinople, 1870

 


L’archéologue allemand Heinrich Schliemann, père de l’Archéologie moderne et dont les fouilles avaient pour but de découvrir l’ancien site de Troie. En 1874, il exhume le « trésor de Priam, dont la copie est exposée au NEUES MUSEUM à Berlin

 

 

Thème de la conférence

Pourquoi Les Demoiselles d’Avignon entre guillemets et sans l’article ? Quel rapport entre l’archéologue allemand, découvreur de Troie et de Mycènes, et le peintre espagnol qui révolutionna l’art du XXe siècle ? Le lien pourrait curieusement être établi par des poteries d’Asie mineure, présentes dans les Dardanelles depuis la plus haute antiquité, dont les avatars modernes frappèrent Hans Christian Andersen et Gustave Flaubert. Sous le nom de « demoiselles d’Avignon » en raison de leur caractère anthropomorphe, elles furent importées en Provence au XIXe siècle pour servir d’aiguières


Femme grecque tenant une aiguière de Canakkale

 

avant d’être copiées sur place à l’heure où de nombreux artistes, à commencer par Gauguin, se veulent céramistes – bien avant que Picasso ne s’essaie à la poterie à Vallauris. Alors que les « techniques archaïques » et les produits artisanaux enchantent l’Exposition de 1900, des critiques s’intéressent à l’analogie entre les grossières poteries orientales, qu’affectionnait déjà Delacroix, et certaines expériences de l’Art nouveau, influencées par le japonisme. En 1907, Picasso est loin d’imaginer qu’il rendrait hommage à l’Orient des Femmes d’Alger lorsqu’il achève Les Demoiselles d’Avignon, appellation qui exaspérait celui qui avait voulu représenter un « bordel philosophique » à Barcelone, situé « carrer d’Avinyo », rue d’Avignon. Quand André Salmon invente en 1916 un titre qui passera à la postérité, s’amuse-t-il aux dépens de son ami par une allusion, de nos jours illisible, à un engouement contemporain ? Ce micro-essai d’histoire connectée vise à montrer que l’enthousiasme soudain pour les poteries de Çanakkale, qui ont été beaucoup étudiées sans susciter d’interrogation sur les motifs de l’engouement pour cet art populaire, est une conséquence inattendue du japonisme, un fait d’époque.

 


Les Femmes d’Alger, Eugène Delacroix, 1834

 


Les Femmes d’Alger, l’une des 15 huiles, peintes par Picasso en 1955

 


Les Demoiselles d’Avignon, Picasso, 1906-1908

 


Ensemble de six pichets dit « Demoiselles d’Avignon »

 

Bio-bibliographie

Sophie Basch, professeur de littérature française à la Sorbonne, membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique et membre honoraire de l’Institut universitaire de France, est spécialiste de l’orientalisme littéraire. Éditrice du Voyage en Orient de Lamartine, de L’Orient de Théophile Gautier et des Désenchantées de Pierre Loti (Gallimard), elle a notamment publié Le Mirage grec (Hatier, 1995) qui retrace les péripéties du philhellénisme, La « Folie vénitienne » qui analyse la passion et la haine pour Venise dans la littérature romanesque entre 1887 et 1932 (Champion, 2000), les Sublimes Portes qui rassemble quelques de ses études sur les échelles du Levant (Champion, 2004), Romans de cirque sur les portraits littéraires de l’artiste en saltimbanque (Laffont-Bouquins, 2002) et Rastaquarium, étude abondamment illustrée de la relation entre l’Art nouveau et l’affaire Dreyfus dans l’oeuvre de Marcel Proust (Brepols, 2014). Elle a procuré une nouvelle édition du Grand Meaulnes (Livre de Poche, 2008), rassemblé, avec Michel Espagne, un hommage aux « fous de la République », Les Frères Reinach (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2008), dirigé un volume sur Gustave Kahn (Classiques Garnier, 2009) et les Portraits de Victor Bérard (École française d’Athènes, 2015), premier ouvrage consacré aux multiples visages du grand helléniste. Elle a dirigé, avec Nilüfer Göle, le Cahier de l’Herne consacré à Orhan Pamuk et contribué à de nombreux catalogues d’expositions.